vendredi 16 décembre 2011

LA PAROLE A JEAN MARC AYRAULT

Les lignes soulignées le sont par moi



Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les députés,


Ce matin un grand journal, réputé pour sa capacité à interpréter les désirs du Chef de l’Etat, présentait l’accord Merkel-Sarkozy comme celui permettant de « refonder l’Europe ». Rien de moins ! Permettez donc cette remarque : si tel est son ambition, il est regrettable que le débat ne puisse avoir lieu dans des conditions dignes d’une grande démocratie. Sur un thème aussi majeur, il nous a fallu réclamer un débat qui n’était même pas programmé et la majorité a considéré qu’une petite heure suffirait à épuiser le sujet entre nous !
Les choix décisifs ne peuvent être pris sans consultation des représentants du peuple. C’est la leçon que chacun aurait dû tirer – quel qu’ait été son choix - du référendum de 2005. Et bien ce vrai débat, nous le porterons sur la place publique pendant la campagne présidentielle et nous le ferons trancher directement par le peuple français !




Ce sommet est en effet le énième « sommet de la dernière chance » pour sauver l’Euro… Comme les 23 précédents qui devaient déjà tout résoudre.





Toujours trop peu, toujours trop tard. Ce n’est pas moi qui le dis mais l’ex-président de la commission européenne Romano Prodi. Et voilà qu’aujourd’hui pour faire face à l’urgence, on nous propose pour toute réponse un traité qui prendra de longs mois à être négocié et ratifié par les 27 Etats membres ! Et toujours plus d’austérité pour les peuples et toujours rien contre les attaques des spéculateurs.




Le couple franco-allemand est devant une responsabilité historique. Dans ce tête-à-tête, la France devrait aujourd’hui infléchir la position des conservateurs allemands. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé hier à Paris :



Madame Merkel refusait l’évolution du rôle de la BCE, elle l’a obtenu.



Elle ne voulait pas des eurobonds, Nicolas Sarkozy explique désormais que ce n’est pas une solution.


La chancelière allemande voulait un nouveau traité budgétaire, il sera présenté en mars.


Elle plaidait pour des sanctions automatiques. Elles seront mises en place.




Quel est aujourd’hui le poids de la France ? Quel est son crédit ? Pourquoi Nicolas Sarkozy est-il contraint de suivre madame Merkel sans obtenir de véritables contreparties ?


Pourquoi ? Parce que N. Sarkozy s’est affranchi, dès le début de son mandat, de la règle d’or des 3% de déficit posée par le traité de Maastricht. Parce que N. Sarkozy n’a pas davantage respecté l’article 34 de la constitution qu’il a lui-même faite voter en 2008 et qui fixe aux lois de finances publiques « l’objectif d’équilibre des comptes ».






Au lieu de désendetter notre pays que – dès 2007 - vous avez décrit M. Fillon comme « en faillite », il a préféré dilapider 75 milliards d’euros de cadeaux fiscaux au profit de quelques-uns et qui manquent aujourd’hui dans les caisses de l’Etat !




La vérité c’est que cette gestion insensée a affaibli la France. Et c’est le rachat de cette faute originelle qui nous entraine aujourd’hui dans un accord déséquilibré.




Cet accord va-t-il au moins nous permettre de regagner la confiance des marchés ? Même pas ! Cette nuit, l’agence de notation Standard & Poors a lancé une alerte préfigurant une regrettable dégradation de la note des 6 pays AAA de la zone euro, en dépit du nouvel exercice d’autosatisfaction de M. Sarkozy. C’est maintenant la faiblesse générale de la croissance qui inquiète et l’indécision politique qui - après 23 sommets - risque de conduire à une récession.






La véritable règle d’or, c’est celle qui conjugue stabilité budgétaire, élargissement de la solidarité et initiative de croissance.




La discipline budgétaire est un principe partagé et François Hollande s’est engagé à atteindre 3% de déficit en 2013 et l’équilibre à l’horizon 2017. Mais austérité et sanctions ne peuvent constituer l’avenir indépassable des peuples européens.



Or le traité que vous nous proposez, conduit à mettre en place des règles automatiques supprimant toutes capacités d’appréciation et de choix politiques.



Une autre voie est possible.



J’étais hier avec François Hollande à Berlin. Il n’est pas exact de dire que les allemands partagent tous votre vision qu’il faudrait imposer à partir d’un directoire européen.



J’ai eu la chance d’entendre un chancelier, à qui l’Europe doit beaucoup, Helmut Schmidt. Ce grand monsieur de 92 ans a plus de lucidité que beaucoup de dirigeants actuels. Il est venu demander à ses amis de ne pas laisser l’Allemagne s’isoler. Je l’ai entendu plaider pour la solidarité européenne, pour le financement de projets créateurs de croissance. Je le cite parce que j’aimerai qua sa voix grave – celle de la distance historique – parvienne jusqu’à vous : « Celui qui croit que l’Europe pourrait retrouver la santé financière uniquement à travers des économies budgétaires, devrait étudier à deux fois les conséquences tragiques de la politique de déflation qui a provoqué une dépression économique, une extension insupportable du chômage et déclenché la chute de la première démocratie allemande ».




Dans les échanges que nous avons eus avec les dirigeants du SPD, nous avons trouvé matière à convergences nombreuses.




Oui aux euro-obligations.





Oui à une initiative de croissance européenne.



Oui à un budget européen financé pour partie par une taxe sur les transactions financières.



Oui à un fond de stabilité financière mieux doté…




Et même sur le rôle de la BCE, nous avons bénéficié d’une écoute attentive qui peut préfigurer l’ouverture d’une négociation équilibrée au service de la croissance et de l’emploi.






Je le répète donc, une autre voie est possible !




Qui peut croire que l’Europe puisse convaincre en se transformant elle même en simple agence de notation de ses propres Etats !?



La croissance doit être notre objectif.



L’Europe des coopérations industrielles doit se renforcer. L'accroissement de la coordination budgétaire au niveau de l’Union doit permettre d’identifier ce qui pourrait être mutualisé ou mieux coordonné au niveau européen. Ainsi par exemple de la politique de recherche et de développement. Il serait temps de bâtir une véritable communauté européenne de l’environnement et de l’énergie ainsi que le suggère depuis longtemps J. Delors. Comme les allemands, nous proposons de baisser la production d’électricité d’origine nucléaire de 25% et la transition énergétique sera un formidable levier pour une croissance durable et créatrice d’emplois.





Une taxe sur les transactions financières doit être mise en place au plus vite, au moins au sein de la zone euro. Ce serait une ressource nouvelle permettant d’engager de vastes plans d’investissement en Europe.




Afin de préserver notre modèle social, nous devons pousser à la fixation d’un salaire minimum dont le montant serait établi Etat par Etat, tenant compte du développement économique national, la promotion d’un règlement européen sur les services publics, l’établissement d’un processus de convergence sociale pour le niveau des prestations sociales et l’effort en matière d’éducation.



Ce qui se joue sous nos yeux, c’est le maintien de la souveraineté des Etats à travers l’affirmation du projet européen. Faudra-t-il demain faire appel à la Chine, au Brésil ou trouverons-nous en nous-même la force de résister et de nous relever ? un autre grand européen disait au seuil de son mandat et de sa vie : « Si les Européens ne prennent pas en main leur propre destin, qui le fera ? Le Japon, la Chine, le Nigeria, le Brésil, le Texas, enfin, je ne sais qui… Si vous ne décidez pas vous-même de votre sort, quelqu’un s’en chargera, soyez-en sûrs ; mais ce ne sera pas forcément la meilleure solution. » C’était François Mitterrand. Il est temps d’engager l’Europe dans un nouveau cycle politique.




C’est l’un des enjeux majeurs de 2012. C’est celui de l’alternance. Merci.






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